De FORT NATIONAL à FORT NAPOLEON

 

Lorsqu'on parle de Kabylie, il vaudrait mieux dire les Kabylies, car les géographes distinguent la grande Kabylie ou Kabylie du DJURDJURA, et la petite Kabylie ou Kabylie des BABORS.

Les événements et les lieux que nous allons évoquer se situent au sein de la grande Kabylie.

Cette Kabylie a été la région d'Algérie qui fut la dernière à se soumettre à la France. C'est une région difficile, que les forêts, les montagnes couvertes de neige et coupées de profonds ravins rendent inaccessibles. Les Romains eux-mêmes ne s'y sont pas risqués. Voilà pourquoi la soumission totale de la Kabylie ne sera effective que 27 ans après le débarquement de Sidi-Ferruch.

Les étapes de cette conquête sont marqués par des lieux hautement symboliques tels que Tizi-Ouzou, Souk-el-Arba, Ichéridène.

Ce n'est qu'en 1857, que la conquête de la grande Kabylie, s'imposera comme le complément nécessaire à l'occupation de l'Algérie.

Le 19 mai 1857, le Maréchal Randon vint prendre le commandement des troupes à Tizi-Ouzou et cette bourgade devint dès lors la base de départ des opérations à mener au cœur du DJURDJURA.

Il fallait frapper un grand coup, et c'est pourquoi le Maréchal Randon pris la décision d'affronter les BENI-RATEN la plus puissante des tribus Kabyle.

Le 25 mai 1857 cette tribu après des combats acharnés demanda la paix.

Cet éclatant succès avait coûté cher. La colonne expéditionnaire comptait six cents hommes hors de combat.

Les BENI-RATEN eurent 600 morts et 800 blessés. La première partie de l'expédition était terminée, mais avant de s'engager dans de nouvelles opérations, le Maréchal Randon sentit le nécessité d'élever un fort en plein massif de Kabylie, sur un point culminant d'où le commandement pourrait s'exercer au loin. Pour ce faire la construction d'une route se révélait primordiale afin de mettre en relation le fort et la ville de Tizi-Ouzou.

Des études entreprises sur le terrain par le génie militaire, la position de Souk-el-Arba (1) parut réunir les conditions requises pou y construire le fameux fort de guerre.

L'exécution suivit de près la décision. Au bout de 3 jours sous la direction du Général CHABAUD-LATOUR le terrain était reconnu et le tracé du fort terminé. De même la route de Souk-el-Arba à Tizi-Ouzou longue de 25 kilomètres et large de 6 mètres fut terminée en 18 jours par le génie militaire.

Le 6 juin, on commença les fondations du fort et le 14 juin avait lieu la pose de la première pierre.

Après concertation il fut décidé que le fort porterait le nom de FORT NAPOLEON.


Le Fort Napoléon culmine à 961 mètres et le panorama qui se déroule majestueusement à son pied est des plus gracieux et des plus imposant.

Dans de pareilles conditions, les colons arrivèrent nombreux dès la première heure, et sous l'habile direction du régime militaire, Souk-el-Arba devint rapidement une petite ville très coquette et très moderne.

Bâti un amphithéâtre, le mur d'enceinte du fort a un développement de 2261 mètres, c'est le système VAUBAN. Il comprend 1 citadelle et 3 blockhaus détachés. Les travaux durèrent de 1857 à 1871.

Pendant cette période de 15 ans, le territoire de Fort Napoléon, resta exclusivement sous l'autorité du régime militaire. La place était sous les ordres d'un colonel commandant d'armes et faisant fonction de maire.

Quelques commerçants vinrent s'installer, autour des bâtiments militaires et peu à peu un petit centre d'Européens se forma. Parmi les premiers colons du fort, nous pouvons citer au hasard, les BEAUVILLE, EMPERAT, BASSETTE, CIVELLI, BOULLU ... et ...

La vigne couvrit bientôt les plateaux et les collines de l'ancien Souk-el-Arba; en 1900, 8.700 hectares de vigne donnaient une production annuelle de 30.000 hectolitres. En 1865, Fort Napoléon reçut la visite de l'Empereur Napoléon III, qui avant de quitter le sol algérien voulut constater par lui-même les merveilles que l'armée du Maréchal RANDON avait opérées en Kabylie. En Europe la situation se dégradait et nos relations avec l'Allemagne se tendaient.

Dès le mois de juillet 1870, les régiments de Zouaves furent appelés à faire partie de l'armée du Rhin. La place de Fort Napoléon dût aussi fournir son contingent et la garnison d'occupation passa de 4.000 hommes à 472 mobiles de la côte d'or (2). Ce fut une grave erreur qui devait avoir de désastreuses et terribles conséquences.

En effet depuis longtemps déjà les marabouts, surexcitaient les tribus. Dès le 11 avril 1872, Si Mohamed Ben Chik El Haddad, agent aux ordres de Mokrani, le chef de l'insurrection, vint sur le marché des Aït-Idjeur déclarer au nom de dieu que le moment était venu de chasser les Français. Tous les villages du coeur de Fort Napoléon répondirent à son appel et levèrent l'étendard de la révolte. Ce fut le début des hostilités et du siège de Fort Napoléon. Ce siège va durer 62 jours. Une partie du fort sera investie. Le 8 mai, la ville était toujours sans nouvelles de l'extérieur.

Le 12 mai, Si Lounis (qui nous était resté fidèle) avec 50 hommes d'AZOUZA parvint jusqu'au pied des remparts et remis au colonel MARECHAL une lettre du Général LALLEMAND datée du 30 avril, lui annonçant le déblocage de Tizi-Ouzou et son arrivée prochaine à Fort Napoléon.

Le 24 juin, le Général LALLEMAND met en marche ses colonnes, c'était le jour même de l'anniversaire du premier combat d'ICHERlDENE en 1857. La déroute des tribus Kabyles fût complète malgré la force et le nombre d'ouvrages qu'ils avaient édifiés. La soumission temporaire des tribus était chose acquise, et les colonnes de secours quittaient définitivement le Fort Napoléon le 20 juillet 1871.

 

Pendant que ces tragiques événements se déroulaient en Algérie, la France agonisait sous le pied du féroce vainqueur allemand. L'Empire croulait à SEDAN et la République était proclamée. FORT NAPOLEON devint dès lors FORT NATIONAL le 11 septembre 1871.

C'est à cette époque que fut bâti l'Hôtel de ville où se trouve le juge de paix, de même que les sources de la commune de plein exercice. Malheureusement Fort National perd peu à peu son importance au bénéfice des régions voisines. Le siège de la région militaire est déplacé à Dellys et l'école des Arts et Métiers jusque là à Fort National, (mais malheureusement détruite au cours de l'insurrection) est reconstruite également à DELLYS.

Sur la Route Nationale n°15 près de TAMAZIRT se trouvait une pyramide qui célèbre l'exploit pacifique et civilisateur de l'armée.

A ICHERIDENE s'élève une autre pyramide qui sert d'ossuaire aux nombreux soldats français tuès à cet endroit en 1857 et 1871.

C'est en 1865 qu'eut lieu l'inauguration officielle de l'église en présence de l'Empereur Napoléon III et de sa suite. L'Eglise fut dédiée au Sacré Cœur. Elle fut dotée de 3 cloches qui reçurent les noms suivants:

La grosse, Joséphine Françoise Marie

La moyenne, Marie Anne Augustine

La petite, Enfantine Adèle Emilie

Le curé de la paroisse était à cette époque (1866) le père CREUSAT. Les registres paroissiaux signalent pour les années 1864-1868, 23 baptêmes, 15 mariages et 48 décès. En 1868 quatre religieuses de la Doctrine Chrétienne de Nancy venaient ouvrir une maison d'éducation dans un bâtiment militaire. Elles y restèrent 19 ans. Les soeurs furent contraintes de fermer leur école en 1886 et de céder la place à l'enseignement public.

 

La brigade de gendarmerie de Fort National a été créée le 31 janvier 1891. Sa surveillance s'exerçait alors sur tous les villages des communes mixtes de Fort National et du Djurdjura.

Le 15 septembre 1898, la brigade de MICHELET était créée et prenait sous sa surveillance les onze villages composant cette commune mixte.

Voici rapidement résumée, la naissance d'une petite ville en plein pays Kabyle. C'était le chef-lieu, à la fois d'une commune de plein exercice de 10.000 habitants et d'une commune mixte de 55.000 habitants. Par lui-même le village de Fort National n'a rien de bien captivant; rues larges, bastions citadelle, deux portes. Par contre par sa position de nid d'Aigle on y jouit d'un panorama des plus grandiose. On a devant les yeux la muraille gigantesque du Djurdjura dont les altitudes varient entre 1.900 et 2.300 mètres. Sous les yeux, presque sous les pieds, la tribu des Beni-Yenni. Aux limites de l'horizon les monts de Blida et de Médéa vers le Sébaou (3), le Fort et la ville de Tizi-Ouzou et par temps clair, on entrevoit la mer par deux échancrures, au voisinage de l'embouchure de l'Isser (4).

Marcel HAUTEJA

(I) marché du mardi
(2) réservistes
(3) rivière
(4) rivière

 

Cette fois-ci c'est Charles Géniaux qui accompagne ce petit article sur Fort National.

LES CONTES KABYLES

Chaque soir, à la djemâa, le forum des Kabyles, les villageois allongés sur le coude, comme des Romains, se content des histoires. Parfois, leurs enfants viennent les écouter et, à leur tour, ils répéteront ces fables à leurs camarades.

A l'école de Taourit-Moussa-Ou-Amar, sous les arbres de la cour, j'ai surpris une centaine de garçonnets accroupis. Leurs genoux et leurs poitrines brillaient aux rayons qui descendaient des feuillées et leurs fronts rasés se relevaient vers le conteur, Lateub, du village de Timguenounine. Par moments, leurs rires heureux retentissaient avec le son cristallin de clochettes agitées.

Ecoutant ce petit barde berbère, voici ce que j'entendis.

LE PREMIER HERISSON

Il y eut, dans les temps lointains, un homme qui s'introduisait dans les maisons afin d'y voler les cardes utiles pour le travail de la laine. Or Dieu résolut de le punir de ses larcins. " Les épines des cardes que tu as volées te sortiront de tous les endroits du corps ", ordonna-t-il.

Ainsi fut créé le premier hérisson (l).

Charles GEMIAUX

(I) Pour les Kabyles les cardes ont donné naissance au hérisson alors que chez nous le hérisson a donné naissance à un instrument indispensable aux ramoneurs.