DJEMILA - CUICUL, "La Jolie"
La ville antique s'appelait Cuicul, nom berbère qui désigne sans doute l'origine du village indigène.
Le nom arabe de DJEMILA (la joie) ne désigna pas une agglomération, mais un territoire semé de gourbis où la vie était relativement facile.
DJEMILA, l'ancienne Cuicul, probablement fondée par TRA JAN, à la fin du ler siècle, poste militaire, dormait encore, il y a de nombreuses années, insoupçonnée. En 1909, un administrateur des colonies qui allait prendre sa retraite, M. de CRESOLLES, venu là plutôt par curiosité, fit donner quelques coups de pioche pour dégager de vieilles pierres affleurant dans l'herbe, à flanc de coteau. Des fondations apparurent, intéressantes; les fouilles furent poursuivies, un peu au hasard d'un mur retrouvé debout.
Lent travail, sans plan déterminé d'avance, avec de parcimonieux crédits. La guerre est venue et avec elle, comme dit Emile HENRIOT d'autres soucis que de vieilles ruines, parmi tant de neuves. Puis, M. de CRESOLLES est mort. Mais sa veuve a continué le travail entrepris par lui, sans se lasser, infatigable, magnifique exemple féminin du labeur français en terre d'Afrique où je ne sais quelle admirable foi décuple en chacun l'énergie. Grâce à elle, le champ de fouilles s'est méthodiquement agrandi et développé et DJEMILA est sortie de terre.
51 - DJEMILA (Algérie) Vue panoramique des Ruines Romaines |
545 - DJEMILA Vue Générale prises des Grands Thermes |
"Encore un de ces postes romains, souligne très justement Emile Henriot, situé juste à l'endroit choisi, là et non ailleurs, sur cet éperon militaire dominant, au creux de la vallée, la route de Constantine à Sétif. Il y a un peu plus de cent soixante ans, lors de la conquête, nos troupes s'établirent là, ignorantes alors de leurs prédécesseurs romains; mais le lieu commande. Ainsi de tout temps, en cette Afrique, terre d'histoire où celui qui agit, fatalement, s'en vient mettre les pas dans les pas de celui qui est venu là avant lui. Mêmes coulées, mêmes passages, mêmes défenses, mêmes réalités politiques déterminant l'acte de l'homme ..."
Les troupes françaises l'occupèrent à deux reprises, en 1838 et en 1839; lors de l'expédition des PORTES de FER, le duc d'ORLEANS y campa avec ses troupes; des monuments romains n'émergeaient que le temple septimien, I'arc de triomphe, un mausolée et des vestiges de portes. Le prince décida de faire transporter à PARIS l'arc de triomphe, projet qui heureusement ne fut pas exécuté.
Au voyageur qui dispose de temps, la visite de DJEMILA réserve bien des surprises et des joies. Les temples de Djemila, le grand temple de la famille septimienne, le temple du Nord, dédié à la Terre ou à Vénus, et dont les colonnes du pronaos sont monolithes, en beau granit bleuté, appellent la comparaison avec les sanctuaires de l'Acropole. L'arc de triomphe de Caracalla, les thermes du Capitole, la maison de Castorius, divisée en vingt-sept pièces, et possédant deux atriums, deux bains privés et une cour, le marché aux vêtements, sont encore de beaux monuments qui traduisent le sens de la pompe et le génie du confort qu'eurent les architectes de Rome. Ce n'est plus une révélation que de dire, en effet, que les Romains utilisèrent avant nous le chauffage central à air chaud, et que leurs salles de bains n'étaient différentes des nôtres que par le luxe des matériaux dont étaient faites leurs baignoires et par la richesse des mosaïques qui ornaient leurs parterres et peut-être leurs murs.
541 - DJEMILA L'Arc de Caracalla (Face Ouest) |
542 - DJEMILA Vue Générale sur le Temple Septimien |
DJEMILA LA JOLIE, sur laquelle avait veillé avec passion, amour et piété la conservatrice, Mme de CRESOLLES, fille et veuve d'archéologues qui vouèrent à ces vieilles pierres leur vie d'études et de travail, est encore intéressante pour son marché, dû à la générosité de COSINIUS-PRIMUS, très important personnage qui reconnut les charges et les honneurs dont le combla la cité en la dotant de ce bel édifice.
La cour centrale du marché, entourée de colonnes monolithes en marbre veiné de gris, est ornée d'une corniche ouvragée, décorée de gargouilles. Les marchands se tenaient derrière les tables en pierre du pourtour. Leurs étals étaient ornés d'attributs variés: la boutique du marchand de poissons, de langoustines et de crustacés en relief sur la pierre; la boutique du boucher, de têtes de chevaux et de boeufs. Ici, une plaque de pierre, percée de dix trous, supportait les tiges où étaient fixés les crochets des balances; là, une table de mesures, creusée de trois cuvettes de diverses contenances, porte, en relief, l'unité de longueur.
Mais le monument le plus curieux, parce qu'absolument intact, des ruines de
Djemila, est, au quartier chrétien qui domine la ville païenne,
le Baptistère. C'est le seul édifice romain dont on ait retrouvé,
non seulement le plan et les pièces essentielles, mais encore les murailles,
la toiture et le dôme. Intacte aussi la mosaïque qui orne le sol
du couloir circulaire muni de niches stuquées qui servaient de vestiaire
aux néophytes avant leur passage dans la salle où se trouvait
la cuve baptismale.
Toutefois, le toit de ce monument dut être défoncé, pour
permettre le relèvement, à l'intérieur, du bloc monolithe
qui forme un dais de pierre sur la cuve baptismale. Il fut reconstitué
ensuite avec les mêmes briques, sous la direction du service des Antiquités.
Le baptistère de Djemila est, grâce à sa toiture et à
son parfait état de conservation, un monument romain unique au monde.
549 - DJEMILA Temple de Vénus génitrix |
12 DJEMILA - Le Musée, Mosaïques et Statues Romaines |
Enfin, le musée de DJEMILA est captivant, par les magnifiques mosaïques
qui y sont conservées. De cet art de grâce et de fraîcheur
qui fut l'art latin par excellence, les romains étaient prodigues. Une
nuée d'artisans y travaillaient sans relâche; ce qui est, maintenant,
du moins pour les mosaïques artistiques, d'un métier rare, d'une
exécution longue et coûteuse, était alors monnaie plus courante;
on produisait des mosaïques aussi rapidement, semble-t-il, et aussi économiquement
qu'à présent des tapis.
Cette ville morte de l'Algérie, exhumée des sables et de l'oubli par nos missionnaires de la science et de l'art, constitue un magnifique ornement de notre Afrique du Nord.
DJEMILA nous permet de nous rendre compte de l'infatigable activité, pendant cinq siècles de nos prédécesseurs latins sur cette terre d'Afrique.
Jean-Marc LABOULBENE
Bibliographie
Maurice RlCORD - L 'ALGERIE - Foyer de l 'Afrique Française - 1938
Eugène ALBERTINI - L 'Afrique Romaine -1937
Guide Bleu - Algérie - Tunisie - Hachette - 1955